one bullet at a time -- (kell)

[ family ] La famille n'a jamais été ta tasse de thé. Tu as perdu ton père quand tu étais jeune, et tu as coupé les ponts avec ta mère il y a de ça quelques années. Tu aurais aimé pouvoir te reposer sur une soeur, ou sur un frère, mais tu ne leur aurais pas souhaité le monde dans lequel tu as grandi. Au final, il n'y a longtemps eu que toi — et quelques cousins, par-ci par-là. Jusqu'à Misa, en tout cas. Aujourd'hui, en dépit de tes moues et de tes piques, Misa est ta famille. Les autres Aes Sedai et Warders en font aussi partie, que ça te plaise ou non — mais l'idée ne te déplaît pas plus que ça. Après tout, une famille comporte toujours quelques membres que l'on apprécie guère, et la tienne ne fait pas exception à ça.

[ odd eye ] Tu n'as jamais vraiment trouvé ta place nulle part. Coincé dans ton manque d'estime de toi, ta mauvaise humeur et ta mauvaise foi, t'as toujours tenu les projecteurs au plus loin de toi. Vivant la vie que tu pensais mériter, sans te rendre compte de ton potentiel ou de tes qualités. Tu ne les as jamais même envisagés — mais Misa, elle, les a vus et confrontés. Elle a changé tout ce que tu étais. Un coup violent, porté à la conception que tu avais du monde, et à ce que tu pensais de ta valeur. Tu n'as jamais trouvé ta place nulle part, mais aux côtés de Misa, quelque chose a changé. Tu as beau souffrir de vos disputes, souffrir des sentiments que le temps t'a fait développer pour elle, et que tu n'oses lui montrer — de peur de ne pas les voir retournés, et de perdre tout ce que tu as gagné —, tu lui dois plus que tu ne seras jamais capable de l'exprimer. T'es seul, sauf avec Misa. Deux ans plus tard, tu essaies encore de t'y habituer. Mais tu ne te verrais plus vivre sans elle ou sans votre lien, désormais.


[ 1982, naissance ] Tu vois le jour à Wellington, dans les bras de parents qui ne se réjouissent qu'à moitié de ton arrivée. Papa était déjà distant, et ta mère savait que l'arrivée d'un enfant ne ferait rien pour arranger ça. T'étais cependant trop jeune pour avoir conscience de ça, et tu profites de tes premières années de vie dans une innocence des plus complètes.

[ 1986, 4 ans ] Papa s'en va. Il a fait l'effort de rester jusqu'à ce que tu saches marcher, parler, et à la veille de ton entrée à l'école, il décide que c'en est assez. Il n'est pas intéressé à rester aux côtés d'une femme qu'il n'aime plus, ou d'un gamin soupe-au-lait avec lequel il ne partage rien. Ta mère s'y attendait, mais passe tout de même plusieurs semaines à pleurer. Le divorce n'est pas même prononcé, et vous vous contentez de vivre avec le fantôme de ce père qui ne vous a rien apporté. Tu ne le reverras jamais.

[ 2000, 18 ans ] Ta scolarité a été un échec des plus complets. Tu ressors de tes années à l'école sans réels amis, et sans rien à montrer. Ton diplôme de secondaire a été décroché avec toutes les peines du monde — et ta mère a beau te répéter que ça n'a rien à voir avec ton intelligence ou tes capacités, la société s'acharne à te faire croire autrement. T'as entassé plus d'heures de retenue que tout élève raisonnable, et la liste des bagarres affichée à ton dossier feraient pâlir n'importe quelle université. Tu n'y as heureusement pas postulé — tu ne vois pas à quoi ça servirait d'essayer. Le cerveau de la famille, c'est Yeri qui en a hérité. Tu sais déjà qu'elle rattrapera les attentes auxquelles tu as failli, et que ta mère et ta tante auront au moins une gamine sur laquelle se reposer. Toi, t'as assez donné. Tu trouves un boulot de barman pour te faire un peu d'argent, prends un appartement dès que l'occasion se présente, et tu décides de vivre ta vie.

Sûrement trop jeune pour les milieux que tu fréquentes — mais qu'importe. La bienséance n'a plus rien à t'offrir. Tu bosses comme un fou pour gagner de l'argent qui ne reste jamais longtemps dans ton compte en banque. Tu essaies de profiter de la vie comme tu l'entends, empiles parfois plus d'un boulot à la fois. Ta mère essaie de t'aiguiller vers quelque chose de plus sérieux, mais tu n'es pas intéressé. Tu changes de bar régulièrement, jamais satisfait de l'endroit où tu te trouves. Restless.

[ 2008, 26 ans ] Tes mauvaises fréquentations ne durent pas plus longtemps que tes emplois, mais les têtes que tu côtoies dans ces années-là marqueront un changement permanent. Tu avais réussi à te faire un peu d'argent, à commencer à économiser. À rafistoler le lien toujours plus précaire que tu entretenais avec ta mère. Tu bosses au même bar depuis bientôt deux ans — un exploit, pour toi. T'avais un appartement somme toute modeste, mais loin d'être miteux. La fille que tu voyais à cette époque-là n'avait rien d'une relation sérieuse, mais vous aviez le temps d'y repenser. C'est son frère qui t'a condamné, un soir où il t'a proposé pour la première fois de t'installer à une table de poker. Une partie entre amis, sympathique quand tu en viens à y repenser. Mais ils t'ont plumé. T'as perdu tout l'argent que tu y avais amené. Ça t'a donné envie te prendre ta revanche, mais la peur l'a emportée pour cette fois. T'avais besoin de l'argent que tu avais dilapidé. On ne t'y reprendrait pas : tu te le promets.

[ 2010, 28 ans ] Tu t'es fait virer de ton boulot, et tu n'arrives pas à en trouver un autre qui te gardera plus de quelques mois. Partout où tu vas, ta personnalité épineuse se met en travers de ta route, et tu refuses de t'investir assez pour y remédier. Tu arrives un peu trop vite à court d'argent, et t'as trop de fierté pour en demander à ta mère. Tu ne sais pas comment tu en arrives à penser à ça, mais l'idée de jouer pour te faire un peu de fric facile devient alléchante. Et tu gagnes. Pour la première fois de ta vie, la chance semble être de ton côté. Tu gagnes si souvent que tu ne te rends pas compte que tu perds presque tout autant. La spirale se creuse, et tu t'y enfonces sans même t'en rendre compte.

[ 2012, 30 ans ] Les dettes s'accumulent plus que tu ne peux les repayer. Tes salaires de barman ne sont pas suffisants à boucher les trous de ton compte en banque, mais tu n'en es pas au stade de paniquer. Tu penses encore que tu peux tout rattraper — coincé dans une addiction que tu nies en bloc. Durant de brefs moments de lucidité, tu parviens à te dire que tu dois arrêter. Les rechutes sont cependant rapides, et abruptes. Ta mère essaie de te secouer, et vous ne faites que vous disputer. Tu joues plus que jamais, travailles tout autant pour essayer de rester à flots. Et c'est au comptoir d'un bar que tu rencontres Avery.

Elle est une des Aes Sedai dont ta mère t'a tant rabattu les oreilles. T'arrives à t'en rendre compte rapidement — plus perspicace qu'elle ne le pensait. Comme tant d'autres, elle t'a sous-estimé. Tu n'es pas impressionné par son rang, ou par ce qu'elle peut faire. Sa fierté s'en retrouve piquée, et tu deviens bien vite plus intriguant que toutes les autres têtes de noeuds qu'elle a jamais fréquentés. Vous commencez à vous voir, sans promesses de lendemain, sans envie de vous engager. Tu refuses de te laisser intimider, et elle aime que tu lui tiennes tête plus qu'elle ne l'admet. Votre relation est aussi houleuse que vos deux personnalités, et finit par trouver une étrange régularité. Bien que vous sachiez tous deux que ce n'est pas fait pour durer.

[ 2015, 33 ans ] Avery a d'autres chats à fouetter. Son intérêt pour ta carcasse endettée est passé, et ta mauvaise humeur permanente a fini par la lasser. Du jour au lendemain, sans explications, vous arrêtez de vous voir. Qu'importe : t'es assez occupé comme ça. Ton salaire ne suit plus du tout l'ampleur de tes dettes, et tu commences à réaliser que tu ne gagneras jamais assez pour rattraper tout ça. Ça ne prendrait qu'un coup de chance, pourtant — et c'est l'espoir du fou auquel tu décides de te raccrocher. Incapable d'arrêter de jouer. Persuadé qu'un jour, ça finira par payer.

[ 2018, 36 ans ] Tes dettes sont astronomiques, et ton collecteur te flanque une dérouillée qui restera marquée dans ton esprit à jamais. Tu perds ton boulot quand tu te bats avec un client, et tu ne vois plus la lumière du jour pendant quelque temps. Tu perds ton appartement, retournes piteusement vers ta mère — mais c'est le bout du chemin qui t'attend. Elle sort ses économies entières pour rembourser ce que tu dois, et te claques la porte au nez après ça. Sa décision est sans appel : c'est la dernière chose qu'elle fera pour toi.

Tu essaieras de la recontacter, dans les mois qui suivront — mais rien n'y fera. Tu dors chez des connaissances, ici et là. Parviens contre toute attente à trouver un nouvel emploi. Mais rien ne changera si tu n'arrêtes pas de jouer. Et après plusieurs mois, tu finis par le réaliser. Brisé, fauché, tu décides d'user du peu de volonté qu'il te reste pour traîner tes pieds dans un groupe de soutien. Cette fois, ça marchera. Pas le choix. Sans ça, tu finiras par en crever. Et même si t'as gaspillé toutes tes années jusqu'ici, même si t'as perdu la seule famille qu'il te restait, tu veux vivre.

[ 2020, 38 ans ] Tu n'as pas joué depuis deux ans. Si au début le manque était écrasant, tu as fini par t'y habituer. Tu t'es concentré sur autre chose, t'as trouvé un boulot que t'as gardé — même si c'est un trou miteux et que le patron te fait chier. T'as pas vraiment de projets pour l'avenir, hormis celui de survivre. De ne pas rechuter. Pour le moment, c'est assez.

Tu rencontres Misa, cette année-là. Une soirée où tu travaillais, elle débarque dans ton bar pour y trouver un contact — et tout dégénère bien vite. Tu n'as besoin que d'un coup d'oeil pour savoir qu'elle est une Aes Sedai, et en as bien vite la confirmation lorsqu'elle attire à ton attention la présence d'un démon parmi tes clients. Vous vous associez sur le tas. Paire étrangement efficace, vous réussissez à tuer le démon sans trop de casse. Hormis pour le bar, peut-être. T'avais entendu parler des saletés, mais en confronter un te flanque des cauchemars pour le mois entier.

Tu quittes ton boulot, mais aucun autre bar ne veut de toi. Le souvenir du démon te hante plus que tu ne le voudrais, et tu considères la perspective alléchante de tout oublier, l'espace d'une soirée. À une table de jeu, rien ne t'atteindrait. Tu parviens à résister. Un soir, puis deux. C'est assez : Misa te contacte pour te rencontrer. T'es sauvé.

Elle te propose de devenir son Warder, et tu tombes des nues. Acceptes la chance un peu trop vite, peut-être. Mais tu le veux. Elle promet de t'entraîner, et tu emménages à la Tour Blanche pour officialiser le tout. Votre lien s'installe vite. Tu t'efforces d'apprendre plus vite encore, désireux de bien la protéger. Soucieux de ne pas foirer la seule chance que la vie t'a donnée.

[ 2021, 39 ans ] Vous emménagez dans deux appartements communiquant. Grâce au soutien des Aes Sedai, tu te trouves un nouveau poste de barman aisément. Le rythme s'installe — boulot, missions, engueulades. Tu t'entends moins avec Misa que tu ne le voudrais, et tu essaies d'ignorer la voix qui, au fond de toi, te souffle que votre discorde naît de votre étrange harmonie. De ces sentiments que tu cultives à son égard depuis le premier jour, avec ou sans lien. Tu te refuses d'y penser, pourtant. Tu ne veux pas perdre ce boulot. Tu ne veux pas gâcher cette chance.
Tu ne veux pas perdre de vue ta priorité : la protéger. Qu'importe le prix.
Même si tu dois y laisser ta misérable vie.